L’homélie du dimanche : Pâques 2020

« Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre », nous lance saint Paul en ce matin de la résurrection. Il se pourrait bien que cette parole de l’apôtre soit une bonne clé de lecture pour comprendre le récit évangélique que nous venons d’entendre tout comme aussi pour éclairer notre manière d’habiter la terre en cette période si particulière que nous traversons tous !

« Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre. » C’est bien à quoi sont invités par les événements qui se bousculent, l’apôtre Pierre et le disciple bien aimé, en ce premier jour de la semaine quand Marie-Madeleine leur apprend que le Seigneur a été enlevé du tombeau et quand, accourus sur place, ils constatent eux aussi que le sépulcre est vide. Le narrateur souligne leur surprise et leur impréparation face à un tel événement : « ils ne savaient pas encore que, d’après les Ecritures, il devait ressusciter d’entre les morts ». « Ils ne savaient pas encore »! Et pourtant ils avaient bien dû entendre, de la bouche même de Jésus, les annonces de sa Passion et, pour s’en tenir à l’évangile de Jean, ces propos : « et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » ou encore : « quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que JE SUIS. » Ce vocabulaire de « l’élévation » suggère aussi bien l’élévation sur la croix que l’exaltation auprès du Père. Sans doute, avaient-ils entendu ces propos mais la perspective de la croix que cela impliquait leur paraissait trop inacceptable pour qu’ils l’intègrent vraiment, ce qui les empêchaient de voir plus loin et plus haut. Et puis, pouvaient-ils en comprendre véritablement le sens avant que d’être plongés eux-mêmes dans l’expérience de l’événement pascal ? C’est cette expérience, en effet, qui peut éclairer et illuminer le cœur des disciples et c’est elle qui leur permettra plus tard d’entrer dans l’intelligence des Ecritures et de saisir combien elles étaient pleines du Christ, combien elles nous conduisent, aujourd’hui encore, à Lui comme nous en avons fait l’expérience cette nuit tout au long de la longue liturgie de la Parole de la Vigile pascale.

« Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre ». Le disciple bien-aimé est bien le premier des trois témoins de l’évangile de ce matin à observer ce précepte, c’est-à-dire à percevoir les réalités d’en haut que dévoile le vide du tombeau, lui qui, nous dit le narrateur, étant entré dans le sépulcre et ayant vu les linges rangés à leur place, « cru ». « Il vit et il cru ». L’accès à la vérité de l’expérience pascale est ainsi conditionné par son amour de « disciple bien-aimé » qui le lie au Maître. Le psalmiste l’avait déjà dit en son temps, « amour et vérité se rencontrent » : pas d’accès à la vérité de l’événement pascale sans un cœur qui s’ouvre à l’amour du Christ.

« Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre ». Marie-Madeleine, elle, se lamente. « On a enlevé le Seigneur, et nous ne savons pas où on l’a mis ! » A peine est-elle venue exprimer sa plainte auprès des disciples, la voilà qui retourne au tombeau. Sans doute à-t-elle raison de nommer la perte qui l’accable – ainsi commence tout travail de deuil – mais il lui faut encore tendre vers des réalités plus hautes et moins terre-à-terre pour reconnaître, dans Celui qu’elle prend pour le jardinier, son Seigneur ! Il faut que le Seigneur lui-même, en l’appelant par son prénom, l’arrache à la fascination mortifère du tombeau et se fasse reconnaître d’elle au son inimitable de sa voix. Et alors même, pour qu’elle le ne ramène pas vers le passé, il faut cette injonction « cesse de me toucher » qui l’appelle à renoncer à ce qu’il y a de trop terrestre dans son attachement pour s’élever vers les réalités d’en-haut et saisir l’événement dans la lumière pascale, et ainsi accueillir le ressuscité tel qu’il se donne. C’est, pour elle, le début d’un chemin  spirituel qui lui fera découvrir qu’elle ne pourra conserver une relation vivante avec le Seigneur qu’en devenant sa messagère, qu’en l’annonçant aux autres. « Va dire à mes frères… », lui dit en effet le ressuscité !

Quant à Pierre, ce n’est que plus tard, sur le bord du lac, en accueillant le triple pardon du Seigneur qui, par trois fois, lui demande « m’aimes-tu ? » en écho à son triple reniement, qu’il consent à se laisser aimer plutôt qu’à jouer à celui qui croit aimer. Tendre vers les réalités d’en-haut, c’est, pour lui, descendre sur la voie de l’humilité et de la remise de soi entre les mains d’un autre : « quand tu auras vieilli, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas aller », lui annonce le Seigneur.

« Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre. » Voilà comment, nous aussi, nous sommes appelés à accueillir le message pascal puisque saint Paul nous dit : « vous êtes ressuscités avec le Christ ! » Ne pas être obnubilé par les réalités de la terre, ce n’est pas fuir le réel. Nous voyions combien, en ce temps de pandémie, ce réel nous mobilise. Non, ne pas être obnubilé par les réalités terrestres, c’est renoncer à nous comporter en propriétaires jaloux et prédateurs de cette terre qui nous a été confiée pour être l’espace de vie  où chaque créature peut trouver sa place. Appréhender la terre comme Création ainsi que nous y invitait le premier chapitre de la Genèse, cette nuit, c’est cela « tendre vers les réalités d’en-haut ». Car, alors, on reconnaît Dieu comme notre Créateur et l’on s’ouvre à la possibilité de nous reconnaître, tous ensemble, comme ses enfants. Cette filiation divine, chemin de fraternité universelle, c’est en Jésus, le fils unique, le premier né d’entre les morts, que nous y sommes introduit. C’est en Lui que nous pouvons entrer dans cette obéissance filiale, porteuse de vie et de résurrection. Car, alors, nous sommes morts au péché et vivants pour Dieu. Christ est Ressuscité ! Amen, alléluia!

Frère Jean-Michel, abbé