« Voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre. L’Ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre sur laquelle il s’assit ». A lire ce verset du récit de la découverte par les femmes du tombeau vide dans l’évangile selon saint Matthieu, on voit que l’événement prend une dimension cosmique. Les fondations de la terre sont ébranlées. Dans la tradition biblique, de tels phénomènes annoncent habituellement la manifestation imminente du jugement de Dieu en faveur de son peuple ou en faveur du juste persécuté. Ainsi, quand David échappe à Saül qui veut le tuer, il chante le psaume 18 : « J’étais pris au piège de la mort. Dans mon angoisse, j’appelais le Seigneur, vers mon Dieu je lançais un cri ! De son temple il entend ma voix, mon cri parvient à ses oreilles. (Alors,) la terre titube et tremble, les assises des montagnes frémissent ». Et il ajoute : « Le Seigneur m’a dégagé, mis au large, il m’a libéré car il m’aime ». Comment ne pas mettre ces versets davidiques dans la bouche de celui que, dimanche dernier, la foule acclamait à l’entrée de Jérusalem, palmes à la main, comme le fils de David ?
Ainsi le grand tremblement de terre que nous rapporte Matthieu, et la venue de l’Ange du Seigneur, le messager divin, qui rassure les saintes femmes mais saisit de frayeurs les gardes, apporte une réponse divine à la scène du vendredi saint. Là où Jésus crucifié était moqué et outragé, « que Dieu le délivre maintenant s’il s’intéresse à lui » lui lançait-on alors avec méchanceté, là , Dieu, en cette aurore du premier jour de la semaine, apporte son jugement par la voix de son ange à l’éclat resplendissant, que seule l’innocence des saintes femmes peut supporter : « Vous cherchez Jésus le crucifié, il n’est pas ici, il est ressuscité ! ».
Il ne s’est pas sauvé lui-même, Dieu l’a ressuscité ! C’est le propre du juste, c’est le propre du Messie que de ne pas se faire justice lui-même mais de s’en remettre totalement, dans une confiance toute filiale, à Dieu son Père. Il vit de ce lien unique et vital qui le relit au Père et c’est ce lien, cette relation d’amour entre le Père et le Fils, qu’aucune puissance maléfique n’a pu ébranler. C’est cette relation d’amour absolu, de pure donation de soi, qui se trouve glorifiée dans la Résurrection. Lui seul, à bien y réfléchir, pouvait accomplir ce verset du psaume de David : « Le Seigneur m’a dégagé, mis au large, il m’a libéré car il m’aime ». Ce lien là, d’intime communion entre le Père et son fils, aucun linceul, aucun tombeau ne pouvait l’enfermer, le contenir, le retenir ! L’événement de la résurrection fait ainsi exploser toutes les limites, aussi bien spatiales que temporelles. Elle est comme une irruption de l’éternité dans le temps : « Ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus, la mort n’a plus aucun pouvoir », nous dit saint Paul dans la lettre aux Romains. Puis il explique : « lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes, lui qui est vivant c’est pour Dieu qu’il vit. » Ainsi, l’amour est vainqueur de la mort, vainqueur de toutes les puissances mortifères de division et de séparation à l’œuvre dans le monde. Voilà le sens du grand tremblement de terre annonciateur du Jour du Seigneur qu’est ce premier jour de la semaine, premier jour de la création nouvelle, dont l’aurore naissante ne connaîtra pas de déclin. La clarté de ce jour naissant provoque la peur des gardiens mais la joie des femmes venues voir le sépulcre. Eux sont de la nuit. Elles sont du jour. Eux savent donner la mort, elles la vie. Tout émues et pleines de joie, elles communient à l’annonce de l’Ange et courent porter la nouvelle aux disciples. Et voici que, dans leur course, Jésus le premier-né de ce jour nouveau se manifeste à elles et les invite à s’ouvrir pleinement à la joie naissance de Pâques. Sa salutation, en grec xairete, plutôt que par un simple « je vous salue » se traduit mieux par un allègre « réjouissez-vous ! ». Alors oui, à l’invitation du ressuscité, réjouissons-nous ! La résurrection est bien la source de notre joie la plus profonde. Elle fait entrer dans notre vie une espérance que rien ne peut atteindre et qui nous permet d’affronter toutes les épreuves et toutes les difficultés de l’existence. Tout particulièrement celles que traverse notre monde aujourd’hui.
Oui, nous aussi, quand nous sommes dans l’épreuve, nous pouvons, unis au Christ ressuscité, chanter ce psaume de David : « j’étais pris au piège de la mort. Dans mon angoisse, j’appelais le Seigneur, vers mon Dieu je lançais un cri ! De son temple il entend ma voix, mon cri parvient à ses oreilles. (Alors,) la terre titube et tremble, les assises des montagnes frémissent… Alors le Seigneur m’a dégagé, mis au large, il m’a libéré car il m’aime ». En effet, comme nous le dit saint Paul dans la Lettre aux Romains que nous venons d’entendre, nous qui avons été baptisé dans la mort du Seigneur, nous avons été mis au tombeau avec lui… Si nous sommes passé par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec Lui. Telle est bien la profession de foi baptismale que dans un instant nous allons tous ensemble renouveler en nous engageant à renoncer au mal pour vivre à Dieu. Christ est Ressuscité. Amen, alléluia !
Frère Jean-Michel