L’homélie du dimanche : 4ème dimanche de Pâques 2020

Chaque année, au 4ème dimanche de Pâques, l’Eglise est invitée à prier pour les vocations. Occasion bienvenue de raffermir la conscience de notre propre vocation. « Plus qu’un choix de notre part, la vocation est la réponse à un appel gratuit du Seigneur » rappelle le pape François (Lettre aux prêtres, août 2019). Faisons-nous l’expérience de vivre notre existence comme une vocation ? Avons-nous conscience de répondre à un appel, un appel gratuit, un appel du Seigneur ? Si cette conscience s’estompe, comment la raviver, la nourrir ? Si cette expérience nous échappe, comment la découvrir ? La méditation de Jésus sur le « bon berger » dans l’évangile de ce jour peut-elle nous y aider ?

Jésus affirme que le véritable pasteur, le berger authentique appelle ses brebis chacune par son nom et que les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. S’entendre appeler par son nom n’est pas banal même si c’est fréquent. Ce nom entendu dans la bouche d’un autre m’assure que j’existe et que j’existe de manière singulière puisque ce nom m’est propre. Me voici nommé, interpellé par un frère, une sœur, un autre que moi. Mais que faire de cette convocation ? Deux choix sont possibles en réponse à une telle interpellation nous dit l’évangile : suivre ou s’enfuir (cf Jn 10, 4-5). Tout dépend bien évidement de la réponse à cette autre question : Quel est celui qui m’appelle ? Est-il menaçant ou bienfaisant ?

Les Ecritures sont unanimes sur un point. Si mon nom est prononcé par Dieu, je peux écouter en toute sécurité, faire confiance, ne pas craindre mais au contraire m’avancer et m’exposer. La Bible aime à dire que Dieu, par sa bonté, se comporte envers son peuple comme un berger envers son troupeau. Le peuple de la Bible sait l’ampleur des soins et la constance que moutons, brebis et agneaux réclament pour être guidés, nourris, soignés et protégés. Et ce peuple croit profondément que tous ces soins, Dieu les lui prodigue.

Alors ce qu’il croit, il le chante dans les psaumes et l’Eglise avec lui : Berger d’Israël écoute, toi qui conduit Joseph ton troupeau (Ps 79, 2). Ce qu’il croit, il le voit à l’œuvre dans son histoire lorsqu’il relit l’événement de la délivrance d’Egypte par la bouche du  prophète Isaïe : Le Seigneur est le berger qui sauva de la mer son troupeau (cf Is 63, 11). Ce qu’il croit, il le confesse encore au souvenir du retour des déportés au pays du Nord dans le livre du prophète Jérémie : le Seigneur est ce berger qui a rassemblé Israël, son troupeau dispersé, pour le garder au retour de l’exil (cf Jr 31, 10). Tout cela est digne de confiance, digne de louange.

Mais lorsque ce berger divin, aussi bon soit-il, prononce mon nom, il ne s’agit plus des temps anciens et il ne s’agit plus du peuple tout entier, mais de ma singulière et petite personne présente… Où vais-je trouver la confiance nécessaire pour répondre, reconnaître cette voix et suivre ce berger ? Je peux me retourner, interrogateur, vers mes connaissances, proches ou lointaines et leur demander : Avez-vous entendu vous aussi la voix du berger ? Mais, habituellement moutons, brebis ou agneaux, ne parlent pas. Même dans la Bible. Ou très rarement. Rares sont les témoins bibliques qui, à titre personnel, confessent Dieu comme leur berger [peut-être Abraham lorsqu’il dit avoir marché devant le Seigneur (Gn 24, 40) comme celui-ci le lui avait demandé (cf Gn 17, 1), le patriarche Jacob lorsqu’il bénit son fils Joseph en invoquant le Dieu qui fut mon berger depuis que j’existe jusqu’à ce jour (Gn 48, 15) ; le psalmiste réclamant l’écoute du berger d’Israël (Ps 79, 2) ou son aide : Je m’égare, brebis perdue : viens chercher ton serviteur (Ps 118, 126). Parmi tous les membres du peuple de Dieu rencontrés dans l’Ecriture sainte, c’est bien peu comme aide fraternelle pour me parler de ce Dieu Berger qui appelle chacun par son nom.

Mais, grâce à Dieu, il y a aussi le psaume 22, le psaume que nous venons de chanter. Une confession de foi, l’expression de la plus totale confiance, la mise en mots, en prière, en louange de cet acte suprême : la remise entre les mains de Dieu de celui ou celle qui reconnaît la voix du bon berger et se décide à le suivre. Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien…

A l’heure, peut-être, où notre vocation est une question plus qu’une conviction paisible, il nous faut nous saisir de ce psaume au moins pour trois raisons.

Jésus a prié ce psaume. Voici la première raison. Décisive. Il l’a prié intensément lui qui, pour devenir notre berger, s’est d’abord fait agneau. Agneau sans tâche (1P 1, 19), agneau immolé, agneau de Dieu comme le nomme Jean-Baptiste (Jn 1, 29 ; 1, 36). Pour sauver tout le troupeau, pour que le troupeau dispersé soit rassemblé (Jn 11, 52), Dieu son Père, l’unique et véritable Berger lui a demandé de se faire agneau. Et Jésus priait : Le Seigneur est mon berger… Il a choisi, librement, de donner sa vie et consenti à mourir sur une croix. Et Jésus priait : si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal. Il a affronté l’hostilité de ses adversaires, la lâcheté de ses disciples, les prévenant : vous serez dispersés chacun de votre côté et me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul : le Père est avec moi (Jn 16, 32). Car Jésus priait : je ne crains aucun mal car tu es avec moi. Il a reçu en plénitude l’onction de l’Esprit saint (Lc 4, 18) et la coupe amère de la passion (Mc 10, 38 ; 14, 36). Et Jésus priait : tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante. Il savait que le Père avait tout remis entre ses mains (Jn 13, 3). Et Jésus priait : je ne manque de rien. C’était l’heure de son retour au Père (Jn 16, 28). Et Jésus priait : il me mène vers les eaux tranquilles. Elevé de terre , il retournait à la maison du Père nous préparer une place près de lui (Jn 14, 2-3). Et Jésus priait : j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. Oui, l’Agneau de Dieu, le Christ Jésus, notre Seigneur a prié ce psaume aux jours de sa vie terrestre et trouvé là, dans les mots de la prière, l’expression de sa vocation divine.

Et voici la seconde raison de nous emparer de ce psaume. L’Eglise primitive a fait de ce psaume le psaume des nouveaux baptisés. Remontant des eaux baptismales, revêtus de leur tunique blanche, les nouveaux baptisés entraient en procession dans l’église pour prendre part, pour la première fois, à l’eucharistie. Plongé dans la mort et la résurrection du Christ, ils chantaient leur victoire sur les ravins de la mort : je ne crains aucun mal… il me fait revivre. Confirmés dans la foi, emplis de l’Esprit saint par l’onction du saint chrême, ils chantaient : tu répands le parfum sur ma tête. S’avançant pour communier au repas du Seigneur, ils chantaient : tu prépares la table pour moi. Introduits dans la famille des enfants de Dieu, désormais membres à part entière de l’assemblée en prière, ils chantaient : j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.

Quant à la troisième raison pour nous emparer de ce psaume, c’est celle dont on ne parle pas publiquement. C’est la raison intime, personnelle, propre à chacun de ceux qui ont fait l’expérience de prier ce psaume. Ils l’ont reçu comme un don à honorer en choisissant, un jour, de le prier régulièrement. Ils l’ont fait pour s’unir au Christ et partager sa prière filiale. Ils l’ont fait pour renouveler leur engagement baptismal, leur appartenance au peuple des baptisés, pour prendre la mesure des grâces reçues dans les sacrements. Ils l’ont fait pour trouver lumière et force à l’heure de suivre celui qui les appelle par leur nom, pour saisir l’unité de leur existence depuis leur premier appel jusqu’à son terme en Dieu.

Le Christ bon Pasteur, pour nous guider, est devenu agneau. Et l’agneau de Dieu, pour nous accompagner, est devenu pâturage… Il s’est fait nourriture. Corps livré dans un pain vivant. Appelés par notre nom, reconnaissons sa voix, suivons ses voies, rendons lui grâce.

Frère Jean-Loup