Pardon de saint Guénolé – 1er mai 2025
Abbaye Saint-Guénolé de Landévennec
Homélie du Cardinal Timothy Radcliffe, o.p.
Je vous remercie de m’avoir invité dans ce lieu magnifique. Nous venons ici non seulement parce que c’est beau, mais aussi parce que, pour beaucoup, nous sommes ici chez nous. Vous avez votre place ici. Vous le célébrez en chantant des chants bretons et en cuisinant des plats bretons. Tous les êtres vivants ont besoin d’un foyer pour s’épanouir, des huîtres aux éléphants. Nous célébrons donc aujourd’hui un besoin humain profond, le besoin d’appartenance.
Mais c’est un foyer paradoxal. S. Guénolé et sa famille étaient des réfugiés de la violence dans l’autre Bretagne, de l’autre côté de la Manche. Souvent, le monastère a été détruit et la communauté dispersée avant de renaître. Cette année, nous célébrons le soixante-quinzième anniversaire du retour de la vie monastique à Landévennec après la Révolution française. Landévennec est donc un lieu de stabilité pour ceux dont la vie est instable, un foyer pour les sans-abris. C’est donc un puissant signe d’espoir pour notre monde dans lequel des millions de personnes sont sans abri, fuyant la violence et la pauvreté.
La première lecture nous a parlé de Jacob. Il s’est enfui de chez lui. Il a essayé de tromper son père aveugle Isaac et de priver son frère aîné Ésaü de sa bénédiction, et maintenant il est devenu un réfugié, comme tant d’autres aujourd’hui. Il est en fuite !
Mais Dieu vient à lui dans une vision et lui promet qu’il n’est pas oublié. Il reviendra à la maison. ‘Je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras et je te ramènerai dans ce pays, car je ne te quitterai pas avant d’avoir accompli ce que je t’ai promis.’
Telle est la promesse de Dieu à chacun d’entre nous. Nous trouverons le foyer auquel nous aspirons, où nous sommes acceptés tels que nous sommes. Comme Jacob, nous avons tous commis des erreurs et prétendu être des personnes que nous n’étions pas. Mais Dieu nous ouvre les bras et nous accueille aussi, comme le père a accueilli le fils prodigue.
Le pape François nous dit souvent que l’Église est la maison universelle de l’humanité. Tous sont les bienvenus, indépendamment de ce que nous sommes ou de ce que nous avons fait. Nous nous souvenons de tous ceux qui se sentent marginalisés dans l’Église et mal accueillis. Nous nous souvenons tout particulièrement aujourd’hui de ceux qui ont été chassés de chez eux par la violence. Nous pensons en particulier à votre communauté en Haïti, où les moines sont restés. Ils sont un signe de stabilité dans un monde qui devient de plus en plus imprévisible.
Mais que signifie être chez soi ? Tout d’abord, Jacob doit revenir à lui-même. Il a dit à son père : « Je suis Ésaü ». Il voulait être son frère aîné. Il a volé sa bénédiction. Il s’est mis à la place d’Ésaü. Il ne reviendra à Dieu et à sa famille que lorsqu’il acceptera d’être lui-même. Dieu aime ce prétendant trompeur comme il est.
C’est une merveilleuse nouvelle pour nous tous. Dieu aime la personne que je suis. Je ne dois pas gagner l’amour de Dieu en essayant d’être mon frère ou ma sœur, une célébrité, un footballeur célèbre ou même un saint. Saint Augustin a dit que « Dieu est plus proche de moi que je ne le suis de moi-même ». Le Coran dit que Dieu est plus proche de moi que ma veine jugulaire. Si Dieu se sent loin, c’est peut-être parce que je me suis éloigné de ce que je suis. Le Pardon est donc une fête de retour à la maison. Cela signifie revenir à moi-même, à la personne vulnérable, nécessiteuse et dépendante que je suis.
Nous vivons tous des moments de crise, où notre vie semble ne pas aller de l’avant. Nous perdons peut-être un être cher. Peut-être avons-nous connu un échec cuisant ou perdu notre emploi, et nous ne voyons plus d’avenir. Mais, comme Jacob, c’est souvent dans ces moments de crise que nous découvrons que Dieu est plus proche de nous que nous ne l’aurions jamais imaginé. Chaque Eucharistie commémore la terrible crise de la dernière Cène, lorsque les disciples étaient sur le point d’abandonner Jésus et que celui-ci risquait une mort atroce. Mais c’est alors que Jésus se donne à eux. N’ayons donc pas peur des crises. Les crises peuvent devenir des moments de bénédiction. Nous avons tous commencé notre vie par la crise de la naissance, et nous entrerons dans la vie éternelle par la crise de la mort.
Dans l’Évangile, Jésus dit qu’il est la vraie vigne et que nous sommes les sarments. Nous serons taillés pour porter plus de fruits. Nous émondons les plantes pour que leur vitalité soit plus concentrée. Nous aussi, nous serons émondés par des moments difficiles, comme Jacob.
Permettez-moi de vous donner un exemple personnel. Il y a quatre ans, j’ai subi une intervention chirurgicale importante pour un cancer. Pendant des semaines, je n’ai pu rien faire. Je ne pouvais même pas prier. Je n’étais qu’un corps malade allongé dans un lit dans une salle de l’hôpital, avec beaucoup d’autres personnes. Ma vie a été réduite à l’essentiel. J’ai été élagué. J’ai alors réalisé que j’étais aimé de Dieu tel que je suis et non pas à cause de ce que j’ai fait. Je n’ai pas besoin de gagner l’amour de Dieu par mes réalisations. Nous plaisantons en Angleterre : « La bonne nouvelle, c’est que Dieu vous aime. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il aime aussi tous les autres ! » Ainsi, chaque crise que vous traversez peut devenir une bénédiction.
Au Pardon, nous ne rentrons pas seulement chez nous. Nous rentrons aussi les uns chez les autres. Jacob a fui Esaü mais un jour ils se réconcilieront. Dans la Règle de Saint Benoît, il est écrit : « Ils ne préféreront absolument rien au Christ, et qu’Il nous conduise tous ensemble à la vie éternelle ». Frère Jean-Michel a écrit : Ce « tous ensemble », c’est la communauté : il faut veiller à ne laisser personne sur le bord du chemin. Nous ne pouvons pas être chez nous sans ceux qui sont sans abri aujourd’hui
Il est donc bon aujourd’hui de nous interroger : De qui suis-je devenu étranger ? Qui est mon Ésaü ? À qui dois-je demander pardon ? À qui dois-je pardonner ? Souvenons-nous aussi des personnes que nous avons oubliées : les membres de notre famille qui sont devenus isolés ; les vieux amis que nous n’avons pas vus depuis longtemps, les personnes qui sont en difficulté et que personne ne veut plus voir.
Aujourd’hui, nous célébrons donc le fait que nous sommes tous appelés à être chez nous en Dieu et dans son Église. Tous sont les bienvenus. Mais cela signifie que nous devons nous accepter nous-mêmes et être en paix les uns avec les autres.
Zant Gwenolé, pedit evidomp.