L’homélie du dimanche : Pentecôte 2020

« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle et il leur dit : recevez l’Esprit Saint. »

Ce verset de l’évangile selon saint Jean que nous venons d’entendre exprime bien le cœur du message et même le cœur de l’événement de Pentecôte, car la Pentecôte est un événement. Le don de l’Esprit Saint, que le Ressuscité souffle sur ses disciples, fait d’eux des créatures nouvelles. Il fait d’eux des hommes et des femmes habités par l’Esprit, comme au commencement de la Genèse où le souffle de Dieu avait pénétré l’œuvre de création, suscitant la vie. Le souffle de l’Esprit Saint que Jésus, sur la croix, avait remis à son Père, est aujourd’hui répandu sur les disciples pour qu’ils poursuivent l’œuvre inaugurée par Jésus dans le mystère de son Incarnation. Le don de l’Esprit Saint est le fruit du salut opéré par Jésus dans l’offrande de sa vie pour le monde. Tout ce que les disciples, désormais envoyés, diront et feront, inspirés par l’Esprit du Ressuscité, sera porteur de vie nouvelle et aura la puissance et la fécondité de la Résurrection. C’est précisément pour cela, pour que l’amour révélé dans la résurrection de Jésus comme plus fort que la mort se déploie dans la vie des hommes et dans la création, que Jésus envoie les disciples en ce jour de Pentecôte comme lui-même avait été envoyé par le Père. C’est donc « pour nous », pour notre salut, que Jésus envoie ses disciples. Il a déjà le regard fixé sur nous qui vivons aujourd’hui quand, au soir de Pâques, il leur déclare : « comme le Père m’a envoyé moi aussi je vous envoie ». Par le ministère des apôtres, par la vie des baptisés qui se laissent conduire par l’Esprit Saint de génération en génération, son œuvre de salut se poursuit. Elle atteint toutes les générations et tous les peuples, elle innerve et vivifie, sous toutes les latitudes, toutes les cultures sans chercher à les uniformiser mais, au contraire, en en respectant les particularités et les spécificités. C’est bien ce que veut signifier, dans le récit des Actes des apôtres que nous avons entendu, l’étonnement de la foule de Jérusalem constatant que les disciples, remplis de l’Esprit Saint, sont compris par tous : « Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Elamites, habitants que la Mésopotamie, de la Judée, et de la Cappadoce, des bords de la mer noire, de l’Asie, de la Pamphylie, de l’Egypte, de la Lybie, de Rome, crétois et arabes, tous nous les entendons proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu. » Comment mieux dire que l’Evangile est accessible à tous, compréhensible par tous, destiné à tous ! Et non réductible à une culture particulière, à une ethnie particulière, à un style ou à un ritualisme particulier. Le souffle de l’Esprit Saint nous poussera toujours au-delà des frontières, qu’elles soient géographiques, culturelles, sociales, ou même religieuses. Alors laissons-nous déplacés, poussés, entrainés par son souffle de vie qui dépasse notre petite mesure humaine car le Christ Ressuscité attire à lui toute la Création. « Tout a été créé par Lui et pour Lui » affirme saint Paul dans la lettre aux Colossiens. Alors, surtout, n’enfermons pas l’Esprit Saint dans nos catégories, n’éteignons pas l’Esprit. Laissons-nous au contraire dérouter par ses manifestations. Laissons-nous conduire au large et émerveillons-nous de constater que L’Esprit agit là même où nous ne l’attendons pas.

Les événements de ces derniers mois ne nous ont-ils pas mis en éveil sur ce point ?

Nous avons découvert tout d’un coup que des soignants, des éboueurs, des transporteurs, des paysans, des techniciens, des aides à domiciles, des gendarmes, des institutrices, des élus, permettaient à notre pays de tenir le coup au milieu de la pandémie. Ils assumaient leurs tâches et déployaient leurs talents en mettant parfois leur santé en péril. L’esprit Saint n’était-il pas là, agissant en eux ? L’Esprit qui, nous dit Jésus, souffle où il veut, même dans le cœur d’hommes et de femmes non croyants. L’Esprit de service, l’Esprit de charité, l’Esprit de sagesse était en action.

Il est encore à l’œuvre dans le cœur de tous ceux et celles qui aspirent et travaillent à l’élaboration de nouveaux modèles économiques, non plus fondés sur l’accroissement de la consommation mais attentifs au respect de la création, opposés à la culture du déchet, soucieux de sobriété et respectueux de la vie. Il me plait de penser que l’Esprit saint est bien la source d’inspiration du Pape François qui vient de lancer ce 24 mai une année Laudato Si pour que « le cri de la terre et le cri des pauvres » soient vraiment entendus et nous conduisent tous et toutes à poser des actes de conversion signifiant notre vocation et notre responsabilité de gardiens de la création, attentifs aux plus pauvres et aux plus fragiles.

Le Ressuscité ne souffle pas sur nous son Esprit pour que nous vivions notre foi tranquillement dans notre coin. L’Esprit saint est un Esprit d’in-tranquillité. L’Esprit saint est un Esprit d’éveil et de réveil. Il ouvre les fenêtres de nos égoïsmes, de nos repliements sur soi, de nos volontés de puissance, de nos tentations mortifères d’accaparement, pour y créer un grand courant d’air frais, pour y faire circuler la vie de Dieu, pour susciter en nous l’audace de l’amour qui ne craint pas de toute perdre pour tout gagner, de toute remettre à Dieu dans la confiance afin de tout recevoir de Lui. Sachant que nous n’avons pas ici bas de cité permanente. Nous ne sommes que de passage, nous sommes des pèlerins en chemin vers le Père. C’est vers Lui que nous pousse l’Esprit Saint.

Viens Esprit Saint, viens illuminer les ténèbres de nos cœurs. Viens Esprit de sagesse et d’amour nous ouvrir à la connaissance intime du Seigneur, source de vie pour qu’un jour nous partagions sa gloire. Amen.

Frère Jean-Michel, abbé