Le mémorial de la Cène du Seigneur, nous fait revivre deux gestes qui disent l’amour de Dieu pour nous en son fils Jésus : le rite du lavement des pieds et l’institution de l’eucharistique, deux gestes éminemment corporels. Deux gestes qui nous montrent s’il en était encore besoin que la religion chrétienne est par excellence une religion du corps, une religion de l’incarnation. Le corps touché, lavé, essuyé, le corps livré, le corps mangé même et enfin le corps glorifié dans le mystère de la résurrection qui est sa destination ultime, qui est notre vocation ultime car nous sommes notre corps. En se faisant l’un de nous, Dieu en Jésus Christ vient rejoindre notre humanité dans sa réalité la plus concrète la plus corporelle pour la revêtir de sa divinité. Le repas de la Cène ne dit rien de moins que cela ! Et reconnaissons-le, ce sacrement prend cette année un relief tout particulier puisqu’en raison de la menace du coronavirus, nous sommes dans l’impossibilité de vivre le rite du lavement des pieds et nous sommes dans l’impossibilité de pouvoir tous communier au corps et au sang du Seigneur. Nous sommes même dans l’impossibilité de nous rassembler comme corps ecclésial visible alors même que saint Paul déclare aux Corinthiens en sa première évocation de l’eucharistie : « parce que qu’il n’y a qu’un seul pain, à plusieurs nous ne formons qu’un seul corps, car tous nous participons à ce pain unique ». Toute cette dimension éminemment corporelle de l’expression de notre foi, cette année, ce n’est que spirituellement que nous pouvons la vivre pleinement ! Le montre cette église abbatiale vide de ses fidèles et leur présence, votre présence chers frères et sœurs uniquement via internet ou plus simplement encore via la communion de prière. Hors justement, nous percevons bien à travers cette expérience qui s’impose à nous tous que, de fait, nous vivons une réelle communion spirituelle qui est un don de Dieu et qui nous fait gouter le mystère d’une présence dans l’absence ressentie. Dieu nous fait la grâce de sa présence en l’absence même de la possibilité de communion sacramentellement à son corps et à sont sang, car comme le dit encore saint Paul « il s’est livré pour nous une fois pour toute » et nous pouvons en recueillir les fruits tous les jours là où nous sommes jusque dans la solitude d’un ermitage ou d’un lit d’hôpital.
Le geste du lavement des pieds trouve cette année son sens plénier dans le geste qui nous retient de laver concrètement les pieds de nos frères et sœurs parce que cette retenue exprime précisément le souci de l’autre qu’il ne s’agit pas de contaminer. Et peut-être cette retenue peut-elle nous aider à saisir que servir ses frères cela consiste parfois à retenir le geste spontané de générosité. il est en effet des gestes d’apparente générosité qui sont en fait des manières de s’imposer aux autres, de faire d’eux des obligés, de donner de soi une belle image. L’attitude du serviteur que nous enseigne Jésus au soir de la Cène est tout au contraire une attitude de grande retenue, de grande humilité, celle du serviteur qui s’efface jusqu’au don de sa vie.
Pareillement l’amour de Dieu qui agit en nous et fait de nous de véritable disciples, est toujours d’une extrême discrétion, il ne s’affiche pas, il se manifeste seulement aux yeux qui savent reconnaître le Seigneur agissant par nos mains, notre sourire, le don de nous-mêmes et nous pouvons être certains qu’en ces jours ils sont nombreux ceux qui, même sans le savoir, poussés par l’Esprit du Seigneur se mettent au service de leurs frères et sœurs par un simple coup de téléphone donné pour prendre des nouvelles, ou par leur travail professionnel indispensable en ces temps de confinement : institutrices et éducateurs s’occupant à distance de leurs élèves, personnels soignants, agriculteurs, éboueurs, gendarmes, agents de l’état et la liste pourrait être longue… La contemplation de Jésus au soir de la Cène vient ainsi donner sens à beaucoup de nos gestes les plus quotidiens. Puissions-nous percevoir à travers cela et à travers le geste de Jésus venant laver les pieds de chacun et chacune d’entre nous, la grandeur et la dignité de toute vie humaine et glorifier Dieu qui en son fils vient révéler et embellir chacune de nos vies.
frère Jean-Michel